Endive chicon (Cichorium intybus)

Histoire:

  • L’or Blanc Belge

Celui qui veut connaître l’origine précise du chicon ou «witloof»  cet «or blanc» du Brabant, s’aventure sur un terrain historique plutôt glissant. Il sera confrontéchicon à un fait du au hasard, datant de la période au cours de laquelle la Belgique conquit son indépendance. En effet, c’est pendant les jours troublés de la Révolution de septembre 1830 que L’agriculteur schaerbeekois Jan Lammers déserta sa ferme. Lorsqu’il revint, il constata non sans étonnement que les racines de chicorée qui se trouvaient dans la cave et qu’il avait recouvertes d’une couche de terre avaient donné des feuilles blanches. Il décida d’y goûter et trouva cela bon.

La chicorée sauvage au goût amer, qui dans l’Ancien Monde poussait le long des routes, qu’au premier siècle avant notre ère, Horace appelait «chicoreum» et que Théophraste, trois siècles plus tôt, désignait sous le nom de «chicorion », allait, grâce à diverses méthodes de sélectionnement et divers petits secrets de culture, devenir un légume délicieux, un produit d’exportation très demandé et une source de devises appréciée du Trésor public.

La racine de chicorée fut également utilisée comme «amer» ou succédané du café car ce dernier ne fit son apparition sur le marché que vers la fin du XIXe siècle. Cette apparition tardive était due au blocus continental de 1802, décidé par Napoléon. Le blocus entrava fortement le commerce britannique avec l’Europe et, par conséquent, l’importation du café. En 1775, deux médecins français, Harpong et Bruneau, avaient, toutefois; déjà trouvé un procédé permettant de griller et de moudre les racines purifiées. Ils contribuèrent aussi à l’apparition des premières usines de torréfaction de chicorée, appelées «asten » en Flandre occidentale. Le produit fini portait le nom de «chicorée» ou «amer». Les blocus de la première et de la seconde guerre mondiales incitèrent les familles belges, privées de café, à se lancer dans la torréfaction artisanale.

 

  • Barbe-de-capucin


Le plus ancien précurseur du chicon actuel fut décrit par Rembert Dodonée, un savant du XVIe siècle, dans son célèbre Cruyde Boeck, comme un légume appartenant à la famille de l’endive. Dans son Dictionnaire d’Agriculture de 1751, La Chesnaye était déjà arrivé à un stade plus avancé lorsqu’il parlait de la culture de la «barbe-de-capucin», inspirée de la culture française du champignon. Dans des caves sombres, les racines étaient recouvertes de 30 centimètres de fumier et, après vingt-cinq jours, des feuilles blanches apparaissaient. Ces pousses, «» comme les appelait Dodonée, furent bientôt des mets très appréciés qui, en 1846, figuraient toujours sous le nom de «barbe-de-capucin» sur les marchés bruxellois.

Ce qui était arrivé à Lammers arriva bientôt aux autres agriculteurs. Vers 1840, il Y eut, en effet, une surproduction de racines de chicorée, due à la mauvaise récolte des betteraves. Entassées dans des granges et des étables obscures, les racines se mirent rapidement à germer et à donner des polisses jaunâtres.

De la «barbe-de-capucin» au savoureux chicon, il n’y avait plus qu’un pas à franchir. En 1850-1851, dans les caves du Jardin Botanique de Bruxelles, le cultivateur en chef Breziers, de Schaerbeek, s’attachait à faire blanchir ou jaunir des légumes apparentés à la chicorée sauvage. Il plaçait les racines verticalement, côte à côte, les recouvrait ensuite de terre mélangée à du fumier de cheval et les arrosait. Bientôt apparurent les premières pousses de witloof ou chicon. C’en était fini de la «barbe-de-capucin», qui n’était plus cultivée qu’en cave, sans terre. Le witloof ou chicon nécessitait, en revanche, de la terre la pleine terre. Breziers mourut en 1858. Sa veuve déménagea pour Merksem-Anvers et c’est là qu’elle dévoila le secret de son mari au jardinier de la famille Moretus.

  • Le nouveau légume

Deux ans plus tard, le père Joseph Lekeu entreprit de sélectionner des racines de chicon. L’essor du chicon pouvait commencer. Le père Lekeu aurait vendu ses premiers chicons de pleine terre en 1867 sur le marché bruxellois. Selon une autre source, cette primeur se situerait quatre ans plus tard. Elle devrait toutefois être attribuée au cultivateur schaerbeekois De Koster. C’est lui, en effet, qui aurait vendu les premiers chicons à un pharmacien habitant au 21 de la rue Royale, à Bruxelles. La femme de ce dernier aurait payé 15 centimes une livre de chicons.

Le «nouveau légume» fut très rapidement apprécié comme gourmandise et son succès commercial était assuré. En 1872, un commerçant dégourdi exportait déjà les premiers chicons en France, tandis que ce légume continuait de susciter l’étonnement à l’Exposition Agricole de Gand, l’année suivante. Chez nos voisins du Sud, le chicon avait, entre-temps, été baptisé «endive» et, pour en indiquer la provenance, on y avait ajouté la mention «Witloof en Belgique». La culture du chicon resta, pendant un certain temps, limitée au centre du Brabant, où la terre était particulièrement favorable. Par la suite, elle s’étendit au triangle Bruxelles- Malines-Louvain. Dans un stade ultérieur, des cultures de chicon apparurent dans les Flandres orientale et occidentale, tandis que des cultivateurs français et, dans une moindre mesure, hollandais, s’étaient également rendu compte que cette culture pouvait rapporter gros. En France, la culture du chicon démarra véritablement grâce à la contrebande de graines sélectionnées, organisées par certains agriculteurs (ou commerçants?) peu scrupuleux. C’est de cette manière qu’ils parvinrent à enterrer la florissante exportation belge et la production française finit par supplanter la production belge.

Mais ce qui vaut, par exemple, pour les raisins de serre et les asperges belges vaut incontestablement pour le chicon, à savoir que les «endives» françaises n’arrivent pas, pour la qualité, à la cheville du produit des spécialistes belges. Ces derniers travaillent surtout en famille, ce qui explique le soin apporté aux cultures et à la sélection, même si le chicon n’est plus tout à fait aujourd’hui un légume de saison.

extrait des cahiers INBEL  » L’or Blanc de Belgique »